Un peu de méthode
« L’entretien compréhensif », mon petit manuel de méthode, vient d’être publié au Brésil (photo ci-jointe) et va prochainement connaître une nouvelle édition en Allemagne. La méthode est un élément essentiel de la démarche scientifique. Hélas elle est souvent enseignée de façon beaucoup trop abstraite, loin des conditions réelles de l’enquête. Voici un extrait de l’introduction :
« Malgré des tentatives répétées, l’entretien semble résister à la formalisation méthodologique : dans la pratique il reste fondé sur un savoir-faire artisanal, un art discret du bricolage. Quand une méthode est exposée, c’est sous la forme d’un modèle abstrait, beau mais difficilement applicable. Alors que les manières de faire réellement utilisées se tapissent dans l’ombre, honteuses, comme coupables de ne se sentir guère présentables.
L’entretien est d’abord une méthode économique et facile d’accès. Il suffit d’avoir un petit magnétophone, un peu d’audace pour frapper aux portes, de nouer la conversation autour d’un groupe de questions, puis de savoir tirer du « matériau » recueilli des éléments d’information et d’illustration des idées que l’on développe, et le tour est presque joué : les débrouillards se fiant à leur bon sens peuvent parvenir à ficeler une enquête qui ait une allure à peu près honnête. Les problèmes se posent quand ils veulent récidiver et améliorer : ce qui d’emblée apparaissait facile résiste au perfectionnement. Mystère d’autant plus angoissant que l’ombre du jury de maîtrise ou de thèse se profile dans les mauvais rêves : ne sont-ce pas là justement les questions qu’il adore poser ? « Sur quels critères avez-vous construit votre échantillon ? Est-il représentatif ? Qui nous prouve que ce que vous dites est vrai ? » Questions qui ne sont pas toujours les plus pertinentes mais dont on comprend qu’un jury les pose. Car son rôle est d’être le garant du sérieux du travail. Or l’entretien est une méthode qui apparaît molle, justement trop facile d’accès, suspecte a priori.
L’apprenti-chercheur ouvre donc des manuels pour perfectionner ses outils. Et il découvre que le moindre sourire de l’enquêteur influence les propos de l’interviewé : tout doit être tellement étudié et contrôlé dans la conduite d’entretien qu’il devient très délicat de parler. Que l’analyse de contenu doit répondre à des règles tellement exigeantes qu’il ne voit pas comment les appliquer. Impressionné, il perd confiance en lui. Conscient de la distance qui le sépare du modèle, il est généralement contraint d’adopter un double langage : il dissimule les procédés qui lui ont permis d’avancer dans sa recherche et rédige un beau chapitre de méthodologie avec force citations, pour se protéger des critiques.
Cette situation n’est pas saine »
Depuis la sortie du livre, j’ai reçu de nombreux remerciement de jeunes chercheurs, qui m’ont dit que cette lecture leur avait redonné confiance en eux (certains étaient sur le point d’abandonner). C’était le plus beau compliment que je puisse recevoir !