Feux de bois

Comment résister au plaisir de fendre le bois ? Face à une vieille souche menaçant de pourrir dans mon jardin, je n’ai pu résister. J’avais pourtant promis de faire attention, dans ce petit texte paru il y a quelques années dans « Psychologies Magazine ». Personne n’est parfait !

 

 

Coups de hache et feux de bois

 

J’ai toujours aimé fendre du bois. Lever haut la hache, trouver le juste équilibre entre force et précision, voir la bûche comme par magie se séparant en deux (quand le coup n’est pas raté, car mes compétences restent très modestes), alors que le corps, un instant violemment tendu, se relâche. Mes pensées, habituellement agitées et fatigantes, ont disparu. Je goûte la plénitude d’être (quel bonheur !), donnée par ce mouvement effaçant les doutes et regroupant sur soi.

D’autant qu’il y a dedans toute une mémoire. Je viens d’un village qui depuis des siècles vivait de la coupe des arbres dans sa montagne. Les images, les odeurs, les bruits qui peuplent mon imaginaire nostalgique sont imprégnés de cet univers, qui donne un sens encore plus fort à mes gestes de bûcheron amateur. J’adore aussi la suite. L’esthétique énigmatique des tas de bois parfaitement rangés (énigmatique pour moi, car en ce domaine mes compétences sont encore plus modestes). Et la récompense finale : le plaisir voluptueux d’un feu de cheminée qui doucement crépite.

Hélas cette belle histoire aujourd’hui se termine mal. Le rêve aurait été de pouvoir ajouter de la satisfaction morale à ces petits bonheurs. En me disant que tout cela était en plus parfaitement écologique, et que je savais me rapprocher de la nature. Mais il y a quelques années, l’information, surprenante et douloureuse, a soudain brisé le rêve : les feux de cheminée sont anti-écologiques. Les données scientifiques semblent désormais confirmées. Le verdict du programme européen de recherche CARBOSOL est implacable : la combustion de biomasse (feux de cheminée, feux agricoles et feux de jardins) est responsable de 50 à 70% de la pollution carbonée hivernale en Europe. Infiniment plus de monoxyde de carbone, de dioxines ou de PCB que ceux produits par le chauffage au fioul ou au gaz, ou même par les transports routiers. Mon bois tant aimé, si naturel, responsable de toutes ces horreurs !

Mais j’arrête de me lamenter sur mon sort. Car l’intérêt de cette histoire est surtout de nous faire réfléchir sur nos rapports à la nature. Face à la frénésie mercantile et aux dérives technicistes qui ravagent la planète, l’aspiration grandissante est de se sortir de l’engrenage infernal pour retrouver plus de simplicité et d’authenticité. La nature est devenue notre grande référence, notre nouvelle utopie. Le vert est la couleur de l’avenir. Il ne s’agit nullement d’une mode mais d’un mouvement profond, irréversible. Pour une humanité meilleure.

Tout serait donc pour le mieux si quelques erreurs n’étaient pas commises. Par exemple quand nous croyons que la nature est 100% naturelle. Toute nature, même la plus sauvage en apparence, est inscrite dans une culture qui lui donne son sens. Et notre culture d’aujourd’hui est dominée par la science, qui ne me semble pas à rejeter, mais juste à orienter convenablement.

Nous sommes admiratifs en découvrant comment les peuples premiers savaient vivre avec la nature. Mais nous ne pourrons jamais retourner à ce type d’existence. Les flèches, c’est fini. Ce que nous devons retenir d’eux, pour la nouvelle civilisation à construire, est d’abord leur éthique du respect et de l’harmonie. Pour l’adapter à la nature d’aujourd’hui avec tout ce que nous savons d’elle. Et tant pis pour mon feu de cheminée !

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2 Commentaires

  1. cloclo
    4 juillet 2013 - 22:46

    je n’ai jamais su manier une hache, mais je suis vosgienne et j’ai vu nombre de bûcherons le faire d’une manière admirable, est-ce indiscret de vous demander votre région d’origine ?

  2. 5 juillet 2013 - 08:48

    J’habite en Bretagne, mais je suis originaire d’un petit village du Piémont en Italie, dans la moyenne montagne, un village de bûcherons ; c’est là qu’a été prise la photo

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