Le sursaut démocratique

Nous vivons une période historique particulièrement intense et décisive. Car au-delà du calme apparent et des brumes trompeuses d’une société tournée vers le divertissement, ce n’est rien moins que l’avenir de notre civilisation qui est en jeu. En ce moment. Sous nos yeux.

Dans mon livre, La Fin de la démocratie, j’explique pourquoi la montée des régimes populistes, nationalistes et autoritaires me semble malheureusement inexorable, signe d’une crise de civilisation majeure. Mais j’explique aussi qu’une forte capacité de résistance est à l’œuvre, et que le désir de démocratie est si vif qu’il peut soudain inverser les scenarios qui semblaient mener vers le pire. L’important à comprendre est que nous nous situons historiquement à un point de bascule ou tout peut évoluer soudain dans un sens ou dans son contraire. Vers l’horreur garantie de la dérive autoritaire, ou vers un maintient voire un élargissement de l’expression des libertés. Aux quatre coins du monde, l’actualité doit donc être suivie de très près, plus que jamais dans cette période cruciale. Car les événements nous disent si le processus de désagrégation de la démocratie continue son chemin implacable, ou si les peuples peuvent en retarder l’échéance. Seulement en retarder l’échéance sans doute, mais l’enjeu n’en est pas moins considérable. Or, depuis quelques semaines, les bonnes nouvelles semblent se multiplier.

 

 

Hong Kong, Algérie : un impétueux désir de démocratie

 

Le premier cas de figure est celui de pays qui n’ont jamais connu qu’une démocratie de façade et qui aspirent à une expression plus pleine des libertés, face à des régimes autoritaires, souvent gangrénés par la corruption. Le peuple soudain se lève, comme en Algérie ou à Hong Kong, magnifique dans son mélange de détermination et de pacifisme, évitant (jusqu’à maintenant) les provocations et violences qui permettraient aux pouvoirs de briser le mouvement par la répression policière voire militaire.

La protestation démocratique évolue face à un double écueil, celui des provocations violentes et celui de l’essoufflement dans la durée, il est en effet très difficile de maintenir une mobilisation forte, massive et unie dans son expression pacifique. Pour le moment rien ne permet de dire dans quel sens vont pencher les événements. Les Algériens ont en mémoire les suites désastreuses qu’ont souvent eues les printemps arabes. Les Hongkongais surveillent les réactions de l’immense Chine, très inquiète que les slogans démocratiques ne passent la frontière. L’enjeu est considérable.

 

Le second cas de figure est celui de populistes arrivés au pouvoir dans des pays démocratiques, qui se croyaient portés par un élan irrésistible mais connaissent soudain des difficultés et multiplient les revers. La situation à vrai dire n’est pas surprenante. Autant en effet les démagogues sont à l’aise dans l’opposition antisystème, autant le passage à la gestion des affaires est pour eux délicat et les oblige à réécrire leur storytelling. La transition n’est pas simple et leur demande un temps d’adaptation.

 

 

Salvini a perdu son pari

 

En Italie, le mouvement cinq étoiles, typique du nouveau populisme que j’ai qualifié de « liquide » est resté dans une position oppositionnelle après son accession au pouvoir, s’alliant aux gilets jaunes français et refusant tous les projets industriels. Le résultat a été une chute vertigineuse dans les sondages, dont a profité Matteo Salvini, son allié d’extrême-droite au gouvernement. Croyant son heure arrivée, Salvini a déclenché une crise au milieu du mois d’août, réclamant les « pleins pouvoirs », avec quelques formules qui discrètement mais délibérément rappelaient l’ère mussolinienne.

C’en était trop. Le blocage du pays, combiné à cette dérive d’aspirant dictateur a soudain réveillé les passions démocratiques, un peu dans l’opinion, et surtout dans les vieux partis et les institutions représentatives, qui s’étaient crues définitivement rejetées. Le Parti Démocratique notamment a réussi à oublier les torrents d’injures qu’il avait subies pour dialoguer avec les députés Cinq Etoiles, engageant sans le dire un véritable travail pédagogique pour les faire passer de la dénonciation à la compréhension des institutions républicaines et renouer avec l’Union Européenne. En quelques jours la mutation a été impressionnante. Les députés et sénateurs Cinq Etoiles, en plein désarroi, reniaient leur passé pour sauver leurs fauteuils et espérer de futurs scores électoraux moins désastreux que les sondages actuels.

Salvini a perdu son pari. Il a été battu grâce à un sursaut inattendu du parlementarisme démocratique dans son fonctionnement le plus classique. Battu pour le moment.

 

 

Boris Johnson veut passer en force

 

Du côté du Royaume-Uni, les épisodes du feuilleton populiste peuvent être brièvement rappelés. Tout commence par le référendum sur le Brexit. Quelques mensonges et une campagne d’opinion agressive avaient suffi pour plonger le pays dans l’incertitude. A l’âge de la volatilité des humeurs, sous influence médiatique, l’exercice de la démocratie directe, à laquelle aspirent pourtant les citoyens devient extrêmement risquée et peur soudain générer des monstres.

La suite ne fut pas plus réconfortante. Car le parlementarisme Britannique, mettant en avant des rivalités de clans et de personnes, montra son incapacité à se montrer à la hauteur de la situation historique pour éviter le pire, ne parvenant à dégager des majorités que pour repousser la date à plus tard.

Boris Johnson s’engouffra donc dans des espaces rendus disponibles avec les positions radicales que l’on connaît. Comme Matteo Salvini cependant, grisé pas ses succès et sentant l’heure venue de la victoire du populisme nationaliste, il a sans doute voulu aller trop vite et trop fort, choquant l’opinion, réveillant le désir de démocratie. Les manifestations et pétitions se sont multipliées, les députés ont enfin affiché une volonté plus farouche de s’unir pour s’opposer à l’autoritarisme.

Nous en sommes-là aujourd’hui, et les semaines qui viennent seront décisives pour l’avenir du Royaume-Uni, comme pour celui de l’Italie. Car le sursaut démocratique, notamment des institutions représentatives, est condamné à réussir, vite et bien, pour éviter un retour du populisme. Le Parlement Britannique doit trouver les moyens de trouver une issue négociée avec l’Europe, marginalisant les brexiters radicaux. Le gouvernement italien doit rapidement dégager des lignes d’action efficaces (car son unité reste actuellement très abstraite en dehors de l’hostilité à Salvini).

Faute de quoi le sursaut démocratique n’aura été qu’un feu de paille. Et cet échec serait lourd de conséquences, pour l’ensemble du monde.

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1 commentaire

  1. mary
    14 mars 2022 - 21:14

    les démocraties ont toujours été en danger. Elles sont menacées à chaque nouveau mandat, et il est important de tout faire afin de les conserver. Mais peut-être qu’il serait aussi temps de repenser la démocratie, plus représentative, plus égalitaire.

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