Sexe virtuel
La semaine où mon livre Sex@mour sort dans sa traduction espagnole (voir l’image), un sondage sur le sexe virtuel est sorti en France, et a déclenché plusieurs demandes d’interviews. Voici les liens des articles parus dans Le Nouvel Observateur et dans Citazine, ainsi que l’interview publiée hier dans Citazine.
http://www.citazine.fr/article/internet-bon-ami-sexe-loisir-sexe-2.0
CITAZINE
Internet, le bon ami du sexe-loisir
mercredi 24 avr. 2013 | Dorothée Duchemin
La semaine dernière une étude sur l’appétit des Français pour le sexe virtuel, réalisée par l’Ifop excitait les papilles. On y apprenait que le jeune prend la confiance sur la Toile. Sexuellement désinhibé, il est séduit par la sextape, le sexting. Plus que ses aînés selon l’étude. Mais tout de même le sexe 2.0 gagne du terrain, même chez les plus de 25 ans. Ainsi, sur les 1 113 personnes âgées de 18 à 69 ans interrogées, 22 % sont disposées à “faire l’amour virtuellement via une webcam”, contre 17 % en 2009. En augmentation également, les adeptes des jeux sexuels réalisés via une messagerie instantanée représentent 17 % des moins de 25 ans. Citazine a voulu savoir si Internet était vraiment responsable de ces évolutions du rapport sexuel ou avait simplement facilité la mise en place d’une sexualité basée sur le plaisir et le divertissement plutôt que sur le sentiment. Jean-Claude Kaufmann, sociologue et directeur de recherche au CNRS, nous répond.
Internet a-t-il vraiment changé nos comportements liés à la sexualité ?
Les comportements changent et c’est très net. Il existe des comportements effectivement liés à Internet, mais le web ne fait qu’accélérer des changements qui avaient commencé bien avant. Tout d’abord la banalisation de la sexualité, qui a commencé depuis presque un siècle. A la fin du 19ème siècle, la sexualité était complètement tabou, liée aux angoisses et aux interdits. Mais on a commencé à en parler, à parler des problèmes sexuels, à essayer de se libérer. Dans les couples établis notamment, au point que la sexualité est désormais une technique de bien-être dans le couple. Dans l’univers des rencontres, la sexualité est bien sûr beaucoup plus libre et on assiste à une inversion historique très étonnante : avant on commençait par le sentiment, ensuite on passait à la sexualité. Aujourd’hui, on débute par la sexualité pour voir si on poursuit dans le sentiment. Sur la Toile, des nouveaux proverbes font fureur et témoignent de la sexualité d’aujourd’hui. Parmi ces proverbes : « Il n’y a pas de mal à se faire du bien ».
Le sexe sur internet : une vraie relation
La sexualité est-elle désormais perçue comme un loisir parmi d’autres ?
La sexualité s’est banalisée et Internet incarne le rêve d’un grand espace de jeu. Sur Internet, on rêve d’une sexualité qui serait un loisir comme un autre. Mais est-ce possible ? Ce n’est pas évident du tout puisqu’elle est liée au goût, au désir qu’on a pour l’autre. Il faut être prêt à s’abandonner vers l’autre. Et le risque, c’est l’engagement. Est-ce qu’on peut vraiment séparer plaisir et sentiment ? Si on y arrive, on s’expose à devenir très égoïste et individualiste, instrumentalisant l’autre comme un élément de son plaisir personnel. Mais si on y met un peu de sentiment, on court le risque d’être entraîné dans la relation. Donc d’un côté, se trouve l’espace de jeu et de la banalisation de la sexualité et de l’autre clairement, la peur de l’engagement, l’envie de tout maîtriser, la peur de se tromper de partenaire, qu’il y ait mieux ailleurs. Et là on n’est plus du tout dans le jeu. Sauf si on reste en ligne. S’il n’y a jamais de rencontre, alors tout est facile, tout est possible parce qu’il n’y a pas le risque de l’engagement. On appelle la relation on-line une relation virtuelle mais envoyer un mail, écrire un commentaire, c’est une déjà une vraie relation. Le sexe virtuel est une vraie relation. Il n’y a pas de toucher, de contact, mais on peut ressentir des émotions, être attiré, avoir des sentiments. Et on peut débrancher quand on veut. La posture d’être derrière l’écran, la possibilité d’appuyer sur un bouton, libère de la crainte de l’engagement.
Est-ce l’anonymat qui nous désinhibe tant sur Internet ?
Oui, on ose tout. L’anonymat et le fait de pouvoir débrancher permettent toutes les audaces. Ce qui avant était un fantasme peut maintenant se réaliser dans le virtuel. Mais j’insiste, définir ce qui se passe sur la toile et dans la vraie vie comme ce qui est virtuel ou pas, est une erreur. Le sexe sur Internet, c’est un type de relation particulier qu’on peut arrêter quand on veut. Et cela permet d’aller sexuellement beaucoup plus loin, beaucoup plus vite, dans des dimensions qu’on n’aurait jamais osé approcher.
Le sexe-loisir, un rêve des années 60
Ce qui interpelle le plus dans l’étude, c’est le goût de plus en plus prononcé pour le voyeurisme et l’exhibitionnisme. L’ère du numérique a-t-elle annihilé toute pudeur ?
Oui, la logique sur Internet, c’est d’élargir sa surface d’existence. Mais pour élargir cette surface, il faut se mettre en scène. Et notamment se montrer. On s’expose, émotionnellement, ou en se montrant physiquement. Alors on développe de l’intensité existentielle. Le public s’agrandit, on veut davantage et c’est vraiment irrésistible.
La sexualité en tant que loisir, sans sentiment ni engagement. Est-on là en face d’un phénomène de mode ou plutôt d’une tendance lourde ?
C’est une tendance qui s’installe. La banalisation de la sexualité, le sexe en tant que loisir, tout cela a explosé dans les années 60. On a assisté à une deuxième explosion avec les années Internet. C’est une tendance de fond plus forte chez les jeunes parce qu’ils sont nés avec Internet au bout des doigts d’une part, et parce que la période de la jeunesse est le temps de l’expérimentation et surtout pas de l’engagement. Ça commence plus fort par la jeunesse, mais donne une bonne indication de ce vers quoi va la sexualité. Et pour ceux qui sont engagés, les sites de rencontres extra conjugales prouvent cette nouveauté très forte : les règles du jeu de la rencontre ont changé. La séparation entre plaisir et sentiment est consommée. Mais si l’espace de jeu de la sexualité est désormais bien présent, l’envie de l’engagement existe toujours également, elle fait moins de bruit, c’est tout. Les deux se développent. Le rêve du vrai amour se maintient. Il est plus discret dans les médias, mais est bien présent.
“On commence à avoir conscience de la portée des données personnelles”
Internet a donc seulement été un facilitateur, pas un déclencheur.
Oui, un facilitateur pour les rencontres, les jeux sexuels. Mais Internet ne résout pas cette peur de l’engagement. Au contraire, il complique la donne. On a tellement pris l’habitude de jouer sur Internet qu’aujourd’hui en cas de sexe virtuel, doit-on le prendre comme un acte de trahison caractérisé ? Le jeu sexuel, sur la toile a-t-il de l’importance ? Avant, tromper ou être trompé, c’était clair et net. Plus maintenant. Et je dirais qu’Internet peut mener sur la pente de la trahison amoureuse.
Et selon vous, exhibitionnisme et voyeurisme sont-ils également appelés à gagner du terrain ?
Oui, on va vers encore plus de formes de jeu. Mais pour l’aspect voyeurisme et exhibition, je ressens les prémices d’une prise de conscience. Quand on s’engage sur la toile, on n’a pas vraiment l’impression d’y être. On est en confiance avec un groupe
de fans, d’amis, de relations qui sont là. On se laisse facilement aller à poster des choses personnelles sur la Toile. Mais la mémoire d’Internet est très profonde voire éternelle. Très vite, on est porté par cette impression de l’entre soi et on perd conscience qu’Internet est public. Je crois que l’on commence à avoir conscience de la portée des données personnelles. Donc, l’espace de jeu sexuel va encore se développer mais je ne pense pas que ce la se fera sous la forme du voyeurisme et de l’exhibitionnisme, parce que l’on commence à avoir conscience des risques pour l’image.
> Jean-Claude Kaufmann est l’auteur de Sex@mour, paru en 2010 chez Armand Colin.
“Le sexe sur Internet, c’est un type de relation particulier qu’on peut arrêter quand on veut.” Si seulement. Un aspect crucial que cet interview superficiel et bon enfant élude totalement c’est l’addiction. Le traumatisme induit par la sollicitation continue (et pour cause) du “circuit de la récompense”. Les gens qui ne peuvent plus décoller de l’écran, sous l’empire de la dopamine. Ce cher Kaufmann serait bien inspiré de s’y intéresser.
okk